Eolien en mer en Baie de Saint-Brieuc : des promesses aux réalités

Depuis des années la presse se fait l’écho complaisant du discours lénifiant de notre haute administration et des industriels de l’éolien (j’ai hésité à écrire « des prédateurs de l’éolien ») en nous promettant monts et merveilles au niveau de l’emploi dans notre beau pays (dormez tranquilles, bonnes gens ! nous nous occupons de tout, la protection de la planète et l’assurance de vos emplois….)

En écrivant ce billet d’humeur j’ai sous les yeux le très beau document publicitaire édité par Iberdrola à l’occasion du Débat Public en 2015. Tout le projet y est magnifiquement décrit, suivez le guide :

(texte en noir : Ailes Marines, en bleu : commentaires Fréhel Environnement / UPEEL) :

  • Page 1 : Les énergies marines renouvelables, un atout pour la Bretagne : signé en 2010 par l’Etat, la Région Bretagne, l’Ademe, RTE et l’Anah (agence nationale de l’habitat), le Pacte électrique breton est un dispositif ambitieux visant à apporter une réponse durable au défi de l’approvisionnement électrique de la Bretagne en s’engageant à porter à 3600 MW la production d’électricité renouvelable d’ici 2020. (Il va falloir se dépêcher, le barrage de la Rance avec ses 240 MW installés se sent bien seul et 2020 s’achève !) La Bretagne mise tout particulièrement sur le développement des énergies marines renouvelables : hydrolien, marémoteur, éolien en mer posé et flottant…de nombreux projets voient le jour dans la région. La gestation est lente : l’hydrolien ne marche pas, l’éolien flottant est toujours en test, quant à l’éolien posé il n’est pas encore commencé (et ne vous laissez pas dire que c’est la faute aux associations, ce serait trop d’honneur !) Le parc éolien en mer de la Baie de Saint-Brieuc représentera 40% de la production totale d’électricité de la région (sur la base de la consommation observée en 2014). De quelle région parle-t-on ? de la Bretagne ? Ailes Marines annonce fièrement que son parc alimentera 850 000 habitants… (ce qui ressemble fort à une exagération poétique, faites le calcul !). La Bretagne comptant en 2016 environ 3 300 000 habitants (sans la Loire Atlantique), on a du mal à comprendre le calcul des 40%, sans compter que cette électricité n’existera que lorsqu’il y a du vent (pleine puissance à partir de 43km/h, valeur Ailes Marines). Résumons : ces machines alimenteront péniblement 25% de la population de la Bretagne à condition que le vent soit présent et soutenu à plus de 43km/h. Dit comme ça c’est plus sérieux !
  • Page 2 : En avril 2012, Ailes Marines a été désignée lauréate pour le lot de Saint-Brieuc à l’issue de l’appel d’offres lancé par l’Etat en 2011 (lauréat en n’étant pas le mieux disant, l’Etat a dédommagé discrètement le perdant, l’entreprise Nass and Wind de Lorient : encore plusieurs millions d’euros sur les fonds publics, bien sûr !).

La zone d’implantation du parc, fruit de la concertation menée par Ailes Marines (dans le périmètre de 180km2 défini et neutralisé par l’Etat sans aucune concertation ni études d’impact préalables, Ailes Marines a effectivement retenu une zone d’implantation de 75km2) au travers de près de 400 réunions avec les acteurs du territoire (dont les marins pêcheurs à l’époque, mais aussi les élus du littoral)

  • Page 3 : Les éléments constitutifs du parc éolien le changement de technologie en cours de projet (remplacement des machines Areva par des Siemens) rend caduque une partie des caractéristiques données dans cette page, en particulier dimensionnelles (les éoliennes Siemens sont un peu moins hautes que celles prévues par Areva), mais aussi techniques (pas de « boite de vitesse » (donc moins d’huile dans la nacelle).

Les éoliennes tourneront 95% du temps : début de rotation avec un vent de 11km/h, puissance nominale atteinte à 43km/h, arrêt machine quand le vent dépasse 108km/h. Nous ne contesterons pas cette valeur de 95% : il est possible que 95% du temps le vent en mer dépasse 11km/h (qu’en pensent les « voileux » ?) mais la valeur intéressante n’est pas celle-là, c’est le « taux de fonctionnement » de 39% (rapport moyen entre la puissante produite et la puissance installée sur une année), annoncé par Ailes Marines (et repris dans le rapport de la commission d’enquête publique) qui exprime la réalité : jusqu’à 43km/h de vent les éoliennes ne produisent pas leur puissance nominale, et, en dessous de 11km/h et au-dessus de 108km/h elles ne produisent rien du tout. Sans compter que toutes les éoliennes ne fonctionneront pas en même temps pour raison de maintenance (qui n’a jamais vu dans des parcs éoliens terrestres des machines à l’arrêt quand les autres tournent ?). Si nous insistons tellement sur ce coefficient c’est parce qu’il est une promesse : quand Ailes Marines donne cette valeur il contredit son affirmation de produire 1 850 000 MWh par an (496MWx39%x8736h/an = 1 690 000 MWh, l’écart est faible direz-vous, certes mais à force de petites erreurs glissées ici où là, on en arrive à claironner dans la presse (qui ne demande pas mieux de s’en faire l’écho sans aucune vérification) qu’on va fournir de l’électricité à 850 000 habitants, chauffage électrique compris !

Réseau de câblage inter-éoliennes : tension 66kV. Les câbles relient les éoliennes à la sous-station électrique en mer. Ils seront ensouillés lorsque les conditions de sol le permettent, dans le cas contraire ils seront protégés par des enrochements.

Sous-station électrique en mer : au centre du parc, posée sur jackets (55m x 23m, 30m de hauteur environ), comprend les tableaux électriques et les transformateurs de puissance élevant la tension de 66kV à 225kV.

  • Page 4 : Le raccordement du parc, mission RTE (à l’origine cette mission de RTE faisait partie du marché Ailes Marines, il en a été retiré et sera payé séparément par…nous ! environ 250 Millions d’Euros).

La liaison sous-marine de la sous-station électrique en mer au point d’atterrage à Erquy : 33km (dont 700m sur estran) de double liaison 225 000V. (la distance entre les deux câbles n’est pas encore connue de nous : sous la mer elle devrait être assez importante pour des raisons de sécurité mais sous la plage et jusqu’au poste de jonction l’écart devrait être plus faible).

L’atterrage sur la plage de Caroual à Erquy : choix de moindre impact validé par la concertation préalable de 2013, de nombreux acteurs du territoire représentés : préfecture, élus, services de l’état, associations (citer les associations est tout simplement honteux), un arbitrage multi-critères (sic) permettant un impact minimal sur l’environnement et les usages de la mer. L’utilisation des parkings de stationnement en proximité immédiate de la RD 34.

La liaison souterraine du point d’atterrage d’Erquy au poste électrique de la Doberie à Hénansal : 16km de double liaison 225 000V, 3 communes sur l’itinéraire : Erquy, St Alban et Hénansal. Une concertation avec le milieu agricole et les gestionnaires de voieries (ceux qui, parmi le monde agricole se sont élevés contre le passage des câbles sur leurs terres se sont vus opposer « l’intérêt national »)

Ce qui n’est pas traité dans ce document parce que hors lot Ailes Marines mais que nous allons avoir à payer en plus c’est le doublement du poste haute tension de La Doberie par RTE (quelques millions d’euros supplémentaires, au point où nous en sommes !… et des terres agricoles en moins).

  • Page 5 : la prise en compte de l’environnement. Depuis avril 2012, plus de 120 campagnes de mesures en mer par le bureau d’études In Vivo secondé par des bureaux d’études spécialisés, sur une période de deux ans…(s’en suit une présentation impressionnante des études menées sur le « milieu vivant », études qui ont été par la suite critiquées par l’Autorité environnementale qui a relevé des manques et demandé des corrections)
  • Page 6 : Un projet compatible avec les usagers de la mer…construit en concertation avec les instances de la pêche. Ailes Marines a jugé essentiel de veiller à la compatibilité du projet éolien en mer avec les différentes pratiques de pêches  (Ah les braves gens ! apparemment les « instances de la pêche » ne semblent pas entièrement satisfaites de cette concertation et elles le font savoir avec force !)

La décision d’autoriser la navigation au sein du parc, ainsi que ses modalités (distances de sécurité…) n’est pas du ressort d’Ailes Marines, qui le souhaite néanmoins, pour peu que toutes les conditions de sécurité requises soient réunies. Au terme de l’instruction des demandes d’autorisation, c’est la Préfecture Maritime de l’Atlantique qui définira les conditions de navigation à l’intérieur du parc, après avis des autorités de surveillance et de la Commission nautique. Elles devront permettre d’assurer la sécurité des usagers de la mer, dont celle des plaisanciers, en toutes circonstances. (Voilà, c’est dit, l’Etat devra prendre ses responsabilités. Pour l’instant le Préfet Maritime affirme qu’il sera possible de pêcher au sein du parc ce qui évite la confrontation avec les pêcheurs sur ce point. Quand le parc sera construit on attendra le premier incident pour reconsidérer le problème ?)

  • Page 7 : La création d’une nouvelle filière industrielle française (accrochez-vous !)

Le projet éolien en mer de la Baie de Saint-Brieuc utilisera des éoliennes et des fondations de fabrication française, participant à la naissance d’une nouvelle filière industrielle, tournée vers l’export et forte de plusieurs milliers d’emploi. (quand je lis cette phrase, je ne sais pas vous, mais moi ça me donne des frissons patriotiques, j’entends la Marseillaise ! malheureusement il faut déchanter comme on va le voir ci-dessous)

Rappelons les promesses (qui n’engagent que ceux qui les croient, bien entendu) faites par Ailes Marines : 

Pour le projet de Saint-Brieuc, 2000 emplois directs mobilisés dans le Grand Ouest, dont un potentiel de 1000 en Bretagne :

  1. 750 pour la fabrication des éoliennes et de leurs principaux composants (générateurs, nacelles…)
  2. 110 pour la fabrication de composants d’éoliennes, potentiellement localisables en Bretagne,
  3. 500 pour la conception et la fabrication des fondations à Brest et à Saint-Nazaire
  4. 200 pour la conception et la fabrication de la sous-station électrique
  5. 300 pour la phase d’installation en mer
  6. 140 emplois liés à la maintenance du parc, localisés à Saint-Quay-Portrieux.

Remarquez l’introduction : « Pour le projet de Saint-Brieuc, 2000 emplois mobilisés… » (et non créés, il faut savoir lire !). En fait les 2000 emplois dont il est question ici étaient programmés pour l’ensemble des 6 parcs éoliens en France (et non pour le seul parc de St Brieuc) et on cherche encore à comprendre où sont ces emplois : les 750 emplois de la première ligne devaient être créés au Havre (et non recyclés comme ça se profile avec la fermeture d’une usine de compresseurs Siemens au Havre et le transfert potentiel d’une partie des 300 emplois supprimés vers la future usine d’éolienne, toujours au Havre et d’une autre partie possiblement à Landivisiau ( !!! ) sur la future centrale électrique à gaz construite par… Siemens pour le compte de Total Direct Energie.

Quant aux autres emplois, non seulement ils ont fondu comme neige au soleil (il n’y a plus à Brest qu’un stockage des jackets construits en Espagne alors que la région a dépensé 300 millions d’euros pour l’agrandissement de la zone industrielle) mais ce sont pour la plupart des emplois à durée limitée dans le temps ou des emplois « importés » (installation en mer réalisée par des spécialistes venus de l’étranger avec des équipements spécifiques comme des barges équipées de grues géantes, etc).

Dernière nouvelle : la sous-station électrique en mer vient d’être attribuée par Ailes Marines à Eiffage et Engie. C’est le troisième plus gros contrat après celui des 62 éoliennes (Siemens) et des fondations (Navantia et Windar). L’énorme transformateur électrique offshore sera fabriqué en Belgique, en Pologne et aux Pays-Bas.. 

Donc récapitulons : de fabrication française il n’y a point, en tous cas pas de fabrication à forte valeur ajoutée, minimum nécessaire quand on prétend créer une filière industrielle nationale capable d’aller concurrencer chinois, danois et allemands sur les marchés étrangers. Autrefois nous savions fabriquer des turbines, des transformateurs, des câbles, aujourd’hui les turbines seront allemandes, les câbles norvégiens et même les jackets, qui ne sont que de l’assemblage métallique seront réalisés en Espagne !

 

Où est la grande filière industrielle de l’éolien français ?

Où sont les milliers d’emplois promis ???

Comment justifie-t-on les sommes vertigineuses dépensées au profit de sociétés étrangères *?

Pourquoi omet-on de parler de la centrale à gaz de 500MW à Landivisiau (fourniture Siemens !) alors qu’elle fait partie du projet global du « Pacte électrique breton », ajoute quelques centaines de millions d’euros supplémentaires à la dépense et accessoirement va évidemment produire du CO2 ?

 

*Doit on rappeler que l’Etat a brillamment négocié avec Ailes Marines (Iberdrola) un contrat à prix garanti** de 155 euros / MWh pendant 20 ans (contre 41 euros/MWh pour le même projet à Dunkerque). Faites le calcul, Ailes Marines affirme produire 1 850 000 MWh / an pour un investissement initial de 2,7 milliards d’euros, champagne !!!

**Comme le dit le député des Côtes d’Armor Marc Le Fur, « les agriculteurs seraient heureux de bénéficier de tels prix garantis sur vingt ans ! »

Pour Fréhel Environnement et l’UPEEL, Jean-Marie Beaudlet