La transition énergétique doit tenir compte des réalités scientifiques, technologiques et économiques

Débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie.

Cahier d’acteur n°82, Juin 2018 : Académie des Sciences

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CAHIER D’ACTEUR

La transition énergétique doit tenir compte des réalités scientifiques, technologiques et économiques

UN CONSTAT PESSIMISTE

La loi sur la transition énergétique d’août 2015 (LTECV) fixe l’objectif de réduire de 75 % les émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990 avec un objectif intermédiaire de – 40 % en 2030. L’Accord de Paris issu de la COP 21 prévoit la neutralité carbone à partir de 2050. Cet engagement a été ratifié par la France. Or, si l’on regarde les indicateurs pertinents, on constate que nous sommes en retard sur les ambitions de la France exprimées à la fois dans la loi sur la transition énergétique et par la COP 21. Ce retard est perceptible aussi bien sur les objectifs de réduction de consommation d’ énergie finale que sur la diminution de l’empreinte CO2 de notre production énergétique. Les raisons de ce décalage sont multiples mais tiennent principalement au manque de clarté des politiques à mener et au manque de réalisme des moyens à mettre en oeuvre. Dans l’état actuel du débat, nos concitoyens pourraient être conduits à penser qu’il serait possible de développer massivement les énergies renouvelables comme moyen de décarbonation du système énergétique en se débarrassant à la fois des énergies fossiles et du nucléaire. Ce n’est malheureusement pas le cas. Il est donc nécessaire de clarifier les objectifs pour notre pays et d’expliciter les moyens d’y parvenir. Cette clarification doit se faire en tenant compte des contraintes scientifiques et technologiques mais aussi en estimant de façon réaliste les coûts induits par les décisions nécessaires.

QUELQUES RAPPELS INDISPENSABLES

Lorsque l’on parle d’énergie, il faut garder en tête quelques principes de base :

1-L’évolution d’un système de production d’énergie au niveau d’un pays se fait sur des temps longs, plusieurs dizaines d’années. Il doit donc être pensé et coordonné avec un large degré d’anticipation dans le cadre d’une réflexion stratégique nationale de long terme.

2-Il faut rappeler que, selon la source d’énergie, la même puissance installée (mesurée en kW) ne produit pas la même quantité d’énergie (mesurée en kWh). En France, pour les éoliennes, le rapport entre l’énergie produite et celle qui correspond à la puissance installée est de 23 % ; il est de 13 % pour le solaire photovoltaïque (PV) et de l’ordre de 80 % pour un réacteur nucléaire, soit respectivement pour 1 GW installé : 2 TWh pour l’éolien, 1 TWh pour le photovoltaïque, et 7 TWh pour le nucléaire.

3-On doit garder en tête les priorités affichées. Si, comme les gouvernements l’ont adopté clairement lors de la COP21, l’objectif est de baisser les émissions de CO2, toutes les propositions doivent être justifiées en vue de cet objectif. Lorsque l’on compare les efforts de chaque pays, il faut tenir compte de l’émission de CO2 par kWh ou par habitant et ne pas centrer le débat uniquement sur le pourcentage d’amélioration.

4-L’énergie électrique représente pour la France 25 % du total de la consommation d’énergie finale. En France, la production de cette énergie est largement décarbonée du fait du nucléaire (72 %) et de l’hydroélectricité (12 %). La consommation électrique augmentera dans le futur et il est donc indispensable de veiller à garder décarbonée la production d’énergie électrique.

5-Le débat public se focalise essentiellement sur les énergies renouvelables intermittentes de production électrique (éolien et photovoltaïque) alors qu’elles représentent 5 % de 25 % (part de l’électricité) de la consommation énergétique finale : attention à ne pas éclipser les autres débats (réseaux de chaleur, cogénération, économie d’énergie).

6-Si les énergies renouvelables (hydraulique, éolien, solaire…) sont par nature décarbonnées, certaines (éolien et solaires) sont intermittentes, leur utilisation doit donc prendre en compte la nécessité de l’équilibre à tout instant du réseau. Sans solutions économiquement acceptables pour le stockage de l’électricité, le remplacement du nucléaire en France par des énergies renouvelables conduira à la remontée des émissions de CO2. Il est donc indispensable d’accroître les recherches permettant d’envisager un stockage massif de l’électricité.

7-La mise en place d’une taxe CO2 est certainement le moyen le plus efficace pour adapter les objectifs visés par la France à sa réalité industrielle et économique propre sans nuire à la compétitivité des entreprises.

8-Les solutions techniques proposées pour décarboner nos consommations énergétiques doivent tenir compte des limitations d’accès aux matières premières (cobalt, indium, terres rares, etc.).

DES ECONOMIES D’ENERGIE

Le bâtiment, une réserve d’économies potentielles encore peu activée

Avec près de 45 % de la consommation d’énergie finale, le bâtiment est la plus importante cible pour réaliser des économies d’énergie. Pour le neuf, grâce aux différentes « réglementations thermiques », on peut considérer que la France aura largement rattrapé son retard sur tous les pays développés. En regard, le parc ancien n’a encore été que peu rénové énergétiquement. L’ambition affichée était la rénovation énergétique conséquente de 500 000 logements par an. Force est de constater que les résultats sont très loin de cet objectif (à peine plus de la moitié de l’objectif visé qui pourtant reste relativement modeste). Pour les bâtiments, les deux solutions les plus efficaces pour faire baisser la consommation énergétique, tout en diminuant les émissions de CO2, restent l’isolation du bâtiment et/ou l’installation d’une pompe à chaleur. Un pilotage amélioré du chauffage par des thermostats « intelligents » participe à cet objectif mais n’a un « impact significatif » que dans certaines conditions (tertiaire, occupation importante des bâtiments…). Pour inciter les particuliers a réaliser des travaux de rénovation, il faudrait que cet investissement se retrouve dans la valeur des biens ; le diagnostic de performance énergétique y contribue mais il devrait être mis en oeuvre avec plus de rigueur. Dans le futur, les règlementations thermiques doivent prendre en compte en priorité la baisse des émissions de CO2 et pas seulement la consommation d’énergie primaire.

Le transport

Du point de vue de la lutte contre le changement climatique, le passage au véhicule électrique n’a de sens que si la production d’électricité est décarbonnée (ne pas oublier la nécessaire utilisation du ferroviaire). Les solutions « tout électrique » sont encore loin de correspondre aux demandes des consommateurs (notamment en termes d’autonomie) et le coût de cette transformation (en particulier des infrastructures) doit être pris en compte. Les batteries peuvent encore être améliorées et cela doit être un axe majeur de recherche. Des solutions techniques économiquement viables restent à développer pour les poids-lourds. Cela passe par une nécessaire réflexion sur l’utilisation de l’hydrogène, qui a un sens surtout pour ces véhicules lourds, en prenant en compte le problème du coût et le besoin de recherches et développement.

Récupérer la chaleur

Le développement de la chaleur à partir de sources renouvelables pourrait représenter une large part de l’augmentation de la part d’énergie renouvelable dans la consommation finale d’énergie1. Il faut donc structurer et relancer la filière bois-énergie, mobiliser les autres sources potentielles telles que les énergies de récupération industrielles, valoriser l’énergie des déchets, densifier et étendre les réseaux existants et créer de nouveaux réseaux de chaleur.

LA PRODUCTION ENERGETIQUE

La production d’électricité

Dans un avenir proche et à moyen terme, il y a une véritable contradiction à vouloir diminuer les émissions de gaz à effet de serre tout en réduisant à marche forcée la part du nucléaire. En réalité, de nombreuses études montrent qu’en absence de stockage massif de l’électricité, la part totale des énergies renouvelables dans le mix électrique ne pourra pas aller très au-delà de 30-40 % sans faire croître de manière concomitante les émissions de gaz à effet de serre, sans mettre en péril la sécurité de la fourniture d’électricité et sans conduire à un coût exorbitant de l’électricité. Des scénarios réalistes et cohérents doivent dire clairement que le tout renouvelable n’est pas possible à moyen terme. Ils doivent indiquer une trajectoire raisonnable vers une solution énergétique dans laquelle l’énergie nucléaire aura sa place dans les prochaines décennies si l’on veut maintenir une électricité décarbonée.

Le stockage de l’électricité

Dans un avenir plus lointain, du fait de l’intermittence de l’éolien et du photovoltaïque, le développement des énergies renouvelables passe par le stockage de l’électricité : ainsi on la stockerait dans les périodes excédentaires pour la rendre disponible aux moments où elle est nécessaire. Les capacités de stockage hydroélectrique ne se développent pas suffisamment en France malgré un potentiel encore existant. Il faut développer la recherche sur les batteries et sur d’autres modes de stockage qui permettraient sans doute de progresser. À l’heure actuelle on est loin de pouvoir stocker ne serait-ce qu’une petite fraction des 10TWh (1TWh = 1 milliard de kWh) que la France consomme en une semaine. Pour stocker deux jours de cette consommation, avec une technologie performante lithium-ion, il ne faudrait pas moins de 12 millions de tonnes de batteries utilisant 360 000 tonnes de lithium, sachant que 40 000 tonnes de ce métal sont extraites dans le monde chaque année ! D’autres solutions sont envisagées, comme le stockage chimique sous forme d’hydrogène produit par électrolyse de l’eau, mais ces solutions sont pour le moment trop chères, leur rendement étant faible et leur maturité technologique, réduite.

L’évolution des réseaux électriques

Par ailleurs, du fait de la croissance nécessaire des énergies renouvelables intermittentes, il faut prendre en compte une adaptation des réseaux de distribution. Celle-ci ne pourra se faire sans une extension significative du réseau de transport de l’électricité pour raccorder les lieux de production, collecter les énergies électriques produites de façon diffuse et les faire remonter vers les lieux de consommation. Afin de minimiser le risque de black-out à l’échelle de notre pays, voire de l’Europe, il est important d’anticiper les problèmes de stabilité de réseau qui pourraient résulter de variations soudaines des niveaux de vent ou d’ensoleillement.

LE ROLE DE L’ETAT

Rééquilibrer les conditions de marché

Une visibilité et une stabilité du marché sont indispensables afin de redonner la confiance nécessaire pour des investissements à long terme. Des allers-retours déstabilisants ont, par le passé, généré une méfiance des acteurs vis-à-vis de la stabilité réglementaire (photovoltaïque, éolien…) . Il faut garder en tête que si les subventions peuvent faire évoluer un marché, il est impératif, lors de leurs mise en place, de prévoir leur disparition à terme. La taxe carbone – ou contribution climat-énergie – est certainement l’outil le plus efficace et le plus pérenne pour coupler l’économie réelle aux objectifs de décarbonation de notre consommation énergétique. C’est en particulier la trajectoire de cette taxe annoncée dans la loi qui nécessiterait d’être confirmée et garantie. L’évolution du système des quotas auxquels sont soumis les industriels ne peut s’envisager qu’à un niveau européen, voire international, afin de ne pas dégrader la compétitivité des entreprises francaises.

Politique globale versus locale

La mise en place de politiques régionales de baisse des émissions est nécessaire (il est intéressant de noter qu’un certain nombre de régions se sont emparées de ce sujet et y travailllent sérieusement). Pour autant, cela ne peut se faire que dans un cadre national et européen. En effet les interconnexions entre les réseaux, les moyens de productions de chaque pays et les objectifs européens ne permettent pas d’optimiser l’ensemble par la somme des optimisations régionales. Il est donc indispensable que le gouvernement donne le cap des actions régionales.

Propositions

Pour ce faire, cela passe par une plus grande action de l’état qui doit suivre trois propositions majeures :

1-Développer une vision systémique du secteur de l’énergie

Penser conjointement les différents aspects du système énergétique et non seulement électrique – production (sous toutes ses formes), stockage, transport, distribution, consommation, etc. – en regardant la manière dont ils s’influencent réciproquement.

2-Définir une grille de lecture pour évaluer les solutions au regard des besoins

Une fois assuré de la faisabilité technique des solutions proposées, en distinguant clairement les astreintes (ce qui doit être réalisé) et les objectifs (ce qui doit être optimisé) et en ne confondant pas les objectifs et les moyens pour les atteindre, les choix doivent être analysés en fonction de leur pertinence vis-à-vis : a- des engagements climatiques du pays ; b- des possibilités industrielles de les mettre en œuvre en France ; c- de l’indépendance du pays.

3-Organiser au plus haut niveau de l’État l’analyse stratégique de l’énergie

Élaborer une vision partagée entre l’État, les chercheurs et les industriels pour garantir des solutions qui soient scientifiquement et techniquement réalistes, économiquement et industriellement soutenables, socialement acceptables. Ceci en faisant un effort pédagogique pour permettre l’acceptabilité sociale.