La transition énergétique peut-elle faire l’impasse sur EDF ?

Par Manuel Moragues, L’Usine Nouvelle – Publié le 27 avril 2016.

ANALYSE : Au lieu d’imposer l’électricien national en champion de la transition énergétique, le gouvernement laisse, voire pousse EDF à s’accrocher au maintien de sa production nucléaire et à rester à l’écart de l’essor des énergies renouvelables en France. Une conduite à risque pour la transition énergétique mais aussi pour l’entreprise.

EDF, le champion national de l’électricité ne participerait pas à la transition énergétique française ? Le bras énergétique de l’Etat, qui en détient 80%, ne serait pas la cheville ouvrière de ce chantier emblématique ? Aussi absurde que cela paraisse, le gouvernement laisse EDF sur le bas-côté de la transition énergétique, quitte à en faire un boulet de cette mutation. S’il est certes compréhensible que l’entreprise du nucléaire-roi ne se convertisse pas spontanément aux panneaux solaires disséminés sur les toits, que le gouvernement laisse, voire pousse le groupe à camper sur ses positions interpelle.

Les mauvaises langues n’y verront, en fin de quinquennat, qu’un exemple du classique « je refile la patate chaude à mon successeur ». Mais la patate nucléaire ne se refroidit pas en deux coups de cuillère à pot et, sans inflexion de la trajectoire de l’électricien, le choc avec la transition énergétique pourrait être violent.

IGNORER LA LOI AVEC LA BÉNÉDICTION DU GOUVERNEMENT

Jean-Bernard Levy, le PDG d’EDF, l’a encore asséné sur Europe 1 lundi 25 avril : EDF ne prévoit pas »de fermer d’autres réacteurs que les réacteurs de Fessenheim ». Or la loi de Transition énergétique votée l’été dernier prévoit de réduire la part du nucléaire dans le mix énergétique de 75% à 50% d’ici à 2025. Pour atteindre cet objectif, il faudrait qu’EDF ferme 17 à 20 réacteurs a estimé la Cour des Comptes en début d’année. Comme sous son précédent PDG, Henri Proglio, EDF ignore superbement la loi de Transition énergétique. Avec la bénédiction du gouvernement.

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévue par la loi devait fixer fin 2015 la trajectoire de l’électricien en échelonnant la réduction de sa capacité nucléaire ; le gouvernement ne la soumettra à consultation que cet été et elle ne prévoira pas de fermeture à en croire François Hollande. Lors de la Conférence environnementale, le 25 avril, le président a expliqué que ce sera après 2018 et l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire sur l’état du parc nucléaire qu’EDF devra proposer la fermeture de certaines centrales et la prolongation d’autres…

DE GIGANTESQUES SURCAPACITÉS DE PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ À L’HORIZON

A ce rythme-là, aucun réacteur hormis Fessenheim ne sera fermé en 2023 et la production nucléaire restera au niveau actuel. Or à cet horizon, la capacité installée des EnR électriques (hydroélectricité comprise) doit augmenter dans une fourchette de 65% à 80% par rapport à 2015, selon l’arrêté publié mardi 26 avril, avec 71 à 78 gigawatts (GW) installés contre 43 GW aujourd’hui. D’énormes surcapacités de production d’électricité sont inévitables dans ce scénario, qu’aucune augmentation crédible de consommation ne pourra absorber.

Dans une tribune publiée dans Le Monde le 25 avril, Michel Colombier, président du Comité d’experts sur la transition énergétique, estime ainsi que « dès 2023, ce seraient plus de 100 TWh qui ne trouveraient pas preneurs sur le marché français, soit près du quart de la consommation intérieure ». Et il sera impossible d’exporter ces surplus vers une Europe déjà en surcapacité de production.

Conclusion : il faudra soit renoncer aux engagements français pris dans le cadre de la glorieuse COP21, soit faire tourner les réacteurs au ralenti – ce qui renchérirait fortement le coût de production de l’électricité -, soit fermer à la hâte des centrales nucléaires. Trois scénarios catastrophes.

DÉVELOPPER LES ÉNERGIES RENOUVELABLES SANS EDF ENERGIES NOUVELLES ?

Dans l’optique d’un maintien de la production nucléaire, développer des EnR en France s’apparente pour l’électricien à se tirer une balle dans le pied. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’EDF Energies Nouvelles, la filiale d’EDF dédiée au solaire et à l’éolien (plus la biomasse) se soit surtout développée – avec succès – à l’export. La France ne représente que 15% de l’activité de production d’EDF EN. L’entreprise a développé et construit environ 1800 mégawatts (MW) de solaire et d’éolien en France (dont environ 1000 MW restent en sa possession). Un chiffre à comparer aux quelque 17 000 MW de solaire et d’éolien installés en France. Autrement dit, EDF, qui fournit l’essentiel de l’électricité française, a contribué à juste 10% à l’essor récent des énergies renouvelables en France… Et cette part ne risque pas de progresser : EDF prévoit d’installer au maximum 5 GW de solaire et d’éolien d’ici à 2030 en France, alors qu’environ 30 GW doivent être construits rien que d’ici à 2023 selon les objectifs du gouvernement. Absurde du point de vue de la transition énergétique engagée par le gouvernement, ce hiatus l’est autant pour l’électricien.

L’éolien et, surtout, le solaire, surfent sur leur compétitivité croissante, leur modularité, leur rapidité de mise en œuvre et… une demande d’électricité verte de la part des particuliers comme des entreprises. Ne pas la satisfaire ouvrirait un boulevard à la concurrence.

Manuel Moragues