Lettre ouverte de l’UPEEL à Monsieur Loig Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne

Objet : Projet de parc éolien en baie de Saint Brieuc, le 22 mai 2020

Monsieur le Président,

Suite à l’article paru dans le journal Ouest-France le 15 mai dernier intitulé « La Région demande à Ailes Marine de respecter ses engagements », nous souhaitons vous faire part de notre vif étonnement à la lecture de votre déclaration. En effet si nous ne pouvons qu’être d’accord lorsque vous dites que les préoccupations des marins pêcheurs doivent être « écoutées avec attention », nous nous élevons avec la plus grande force contre les affirmations suivantes :

• « Le projet est incontournable pour l’avenir énergétique de la Bretagne et pour lancer, enfin, la filière des énergies marines renouvelables que notre région attend depuis si longtemps. » Nous espérons en effet que l’avenir énergétique de la Bretagne ne dépend pas de ce projet qui ne suffira à alimenter que 300 à 400 000 foyers, sans le chauffage (1) et à condition qu’il y ait suffisamment de vent ! Quant à la « filière des énergies marines », vous êtes sans doute mal informé : même à l’échelle de notre pays cette filière promise depuis plus de dix ans s’est réduite comme peau de chagrin avec la disparition de Technip et de Areva du groupement Ailes Marines. La Bretagne verra passer à Brest les jackets construits en Espagne, le futur « port de maintenance » dont on ne sait toujours pas où il sera construit ne verra que peu d’emplois locaux créés, en tous cas bien moins que d’emplois détruits dans la filière ancestrale de la pêche et de ses débouchés locaux par la construction du parc éolien ! En réalité les côtes françaises représentent un Eldorado pour les entreprises étrangères : jackets fabriqués en Espagne, câbles commandés par RTE à une entreprise norvégienne et fabriqués en Norvège et en Belgique, posés par la société norvégienne, turbines Siemens fabriquées en Allemagne…
Il restera à la France un peu d’assemblage temporaire, la promesse de 250 emplois en CDD de 2 ans pour Brest qui aura investi 220 millions d’€uros dans son port, de 750 emplois au Havre pour la fabrication des pales et l’assemblage des nacelles en contrepartie d’un engagement financier de 150 millions d’€uros pour adapter son port.

Il restera aussi et surtout à la France, et la Bretagne en particulier, la mise à disposition pour 40 ans de 75 km² amputés à la baie de Saint-Brieuc et de son sous-sol marin, au détriment de la pêche côtière par ailleurs très exposée aux effets du Brexit, et donc au détriment de l’économie locale.

• « Dès ses premières étapes, le projet a fait l’objet d’une large concertation et d’une validation unanime en Bretagne. » En ce qui concerne la concertation, vous évoquez sans doute le débat public qui n’a concerné qu’une faible partie des communes du littoral des Côtes d’Armor et d’Ille et Vilaine, s’est généralement réduit à une longue présentation du projet par Ailes Marines et très peu de temps réservé aux questions en particulier celles des opposants sans que de véritables réponses aient été apportées à celles-ci (sur le plan environnemental mais aussi économique : coût pour le contribuable, nombre d’emplois créés localement…). Quant à la « validation unanime en Bretagne » vous semblez méconnaître le document « Conclusions de la commission d’enquête publique », disponible pourtant sur le site de la préfecture et qui fait état au §6.3 « Bilan détaillé de l’enquête publique » des chiffres suivants (§6.3.2) : « 59,5% d’avis défavorables au projet et ce chiffre monte à 64,4% si l’on y ajoute les favorables avec réserve. » Il est vrai que cela n’a pas eu le moindre effet sur la conclusion de l’enquête et sans doute est-ce la raison pour laquelle vous parlez d’unanimité ?

En conclusion de cette lettre nous tenons à préciser brièvement notre position : s’il s’agissait de sacrifier un espace aussi sensible pour une cause vitale pour notre pays, nous pourrions le comprendre. S’il s’agissait, d’abord, d’une expérimentation avec l’installation de cinq ou six machines pour en mesurer objectivement l’utilité et les effets, nous pourrions, là aussi, en accepter la perspective. Nos associations ne refusent pas par principe l’utilisation de l’énergie éolienne (sur certains sites isolés, soumis à un vent régulier, l’exploitation de l’énergie éolienne peut en effet avoir sa pertinence) et encore moins des énergies renouvelables. L’énergie des courants et des marées, notamment, au potentiel mesurable et prévisible précisément en quantité et en temporalité, offre un potentiel très intéressant, beaucoup plus que l’éolien aléatoire. Aujourd’hui nous ne pouvons qu’être résolument hostiles à ce projet de parc éolien aux conséquences massives et durables, à fort impact négatif sur le plan économique (tous aspects additionnés), sans intérêt sur le plan écologique si l’on embrasse bien tous les paramètres du « modèle » (sans effet réel sur le réchauffement climatique), fondé sur une démarche idéologique ou de pur affichage au regard d’engagements internationaux (sans les respecter au fond, finalement). Il n’aura qu’une nuisibilité publique globale, non une utilité publique. Il faut renoncer à ce projet insensé de parc éolien (ou n’engager qu’une expérimentation très limitée) et investir dans d’autres techniques beaucoup plus prometteuses au regard des composantes du développement durable, où la France peut, bien davantage, conquérir une place de référence à l’échelle internationale.

Une toute dernière chose : le projet de parc éolien ne peut être lancé qu’à l’issue de tous les recours contentieux introduits auprès des juridictions administratives, alors comment se fait-il que Ailes Marines et RTE continuent de faire comme si le projet était définitivement autorisé, comment se fait-il que leur nouvelle campagne de relevés bénéficie d’un accompagnement militaire, comment se fait-il enfin que vous-même, dans l’article de Ouest-France parliez « d’études techniques préalables au lancement opérationnel des travaux du projet de parc éolien en baie de Saint-Brieuc » ?

Mais peut-être interprétons-nous mal vos dires, dans ce cas nous vous saurions gré de bien vouloir nous corriger pour que nous puissions en informer nos adhérents, leurs familles et amis, ainsi que nos amis de la presse.

Nous vous prions de bien vouloir croire, Monsieur le Président, en l’expression de notre parfaite considération.

Pour les associations,
AVA Pléneuf- Val-André : Jean-Jacques Lefebvre,
Erquy Environnement (APSEE) : Marie-Paule Allain,
Bien Vivre à Plurien : Béatrice Prandi,
Fréhel Environnement : Jean-Marie Beaudlet,
Saint-Cast Nature Environnement : Jean-Marc Tenneson,
ADSLB (Lancieux, La Baussais) : Patrice Lecoeur,

Le Président de l’UPEEL (2),
Jean-Marie BEAUDLET

(1) Contrairement aux chiffres mensongers (835000 habitants, chauffage compris !) annoncés initialement par Ailes Marines puis repris par la commission d’enquête, sans aucune vérification. Le calcul est pourtant simple et nous le tenons à votre disposition.

(2) UPEEL : Union du Penthièvre et de l’Emeraude pour l’Environnement et le Littoral. Cette fédération des associations environnementales de Pléneuf Val André à Lancieux regroupe quelques 1000 adhérents. Elle est à l’origine d’un recours au Conseil d’Etat contre ce projet (Requête n°431030).

Copie de ce courrier : nos adhérents, nos sites internet et réseaux sociaux, les journaux régionaux.